Philippe La Sagna, en tant que premier président du CPCT Aquitaine, vous en avez impulsé la dynamique il y a de cela 10 ans.
– Que retenez-vous de cette expérience inédite?
Nous avions créé le premier CPCT à Paris en 2003 avec mes amis du Conseil de l’ECF conseillés en cela par Jacques-Alain Miller. Cela a été une expérience exceptionnelle. En 2007 nous avions déjà pris la mesure des limites de cette expérience et de la nécessité de bien définir les modalités du traitement rapide orienté par la psychanalyse.
À Bordeaux, il faut retenir la fonction de l’occasion, du un qui a l’initiative. C’est Catherine Thomas qui dirigeait à l’époque la classe Relais de Cenon qui a eu l’idée de parler de cette expérience des CPCT à Alain David, alors maire de Cenon, et aujourd’hui député. Et là Alain David en 2006 a proposé une rencontre. Au printemps 2007, le CPCT Rive droite ouvrait ses portes dans les locaux que nous prêtait la Mairie. À la rentrée suivante, 400 personnes se pressaient dans le hall en verre d’une concession automobile désaffectée à Cenon pour la première journée du CPCT. C’était étrange, inédit, chaleureux et très neuf.
– En quoi la création du CPCT Aquitaine a-t-elle modifié le paysage psychanalytique bordelais ?
J’espère que la psychanalyse ne fait pas paysage ! Je ne crois pas non plus que le CPCT change la psychanalyse mais que la psychanalyse change et que le CPCT est un des effets de ce changement. Au début des années 2000 J.-A. Miller a lancé l’idée d’une action lacanienne. Il s’agissait de sortir des murs du cabinet pour faire valoir l’analyse dans la cité. L’École de la Cause n’était plus un refuge mais une base d’opérations pour des actions dans la ville, et en particulier pour créer des institutions de psychanalyse appliquée au moment où la psychanalyse était décriée et attaquée. Donc le CPCT est une de ces institutions de psychanalyse appliquée. Aujourd’hui on s’aperçoit aussi que tout cela est possible dans une démocratie, mais une démocratie libérale. Ce qui explique pourquoi les psychanalystes ont organisé des forums contre Marine Le Pen cette année, en tant que cette démocratie-là était en danger.
– Pouvez-vous nous livrer un moment qui a été marquant pour vous dans cette expérience ?
Je crois que le plus marquant c’est ce qui a eu lieu en 2003 dans les groupes de travail à Paris, puis ensuite à Bordeaux. C’est à dire la « fabrication » au cas par cas d’un traitement qui n’était pas seulement limité dans le temps mais dans tous ses aspects, sa visée, ses indications. Ce qui n’est pas limité c’est la possibilité qu’ont les bénévoles de faire valoir ce qu’ils ont appris de leur formation, c’est- à- dire ce qu’ils ont appris d’une cure analytique, la leur, qu’ils n’ont pas engagée dans ce but. Ce qui est étonnant ce sont ces « effets de formation ». Dans ces groupes, le cas, c’est aussi le consultant bénévole, sa façon de se situer et d’agir dans le discours. Dans ce lien précaire de parole où chacun peut changer, d’un mot qui fait mouche. Au moins sur un petit point !
– Quelles perspectives se dessinent pour la suite?
L’an passé a eu lieu la première Journée de la FIPA à Bordeaux. Trois axes ont été définis, l’examen de la question du diagnostic, celui de la spécificité du traitement au CPCT en font partie ce sont des chantiers. Nous avons mis à l’Étude de l’Atelier de psychanalyse appliquée la question du diagnostic. À quoi cela sert et comment aussi ne pas s’y enfermer ! Ce qui semble intéressant c’est la résonance entre les traitements courts et la fonction à la fin de la cure « classique » en particulier d’un inconscient qui n’est pas entièrement rapportable au transfert entre l’analyste et son analysant. Je fais référence à l’inconscient réel qu’a fait valoir J.-A. Miller et qui est essentiel. Par ailleurs le CPCT de par sa présence dans la cité, de par son contact avec les diverses instances de la cité peut être un vecteur par où se démontre, selon le mot de Lacan, que l’inconscient c’est la politique. Autrefois on pouvait penser que l’inconscient se déduisait de l’ordre symbolique, cher à Lacan et à Lévi Strauss, mais aussi aux cybernéticiens. Dans le grand désordre contemporain, alors que cet ordre décline, le réel qui surgit dans la surprise d’une parole peut être un repère qui fait pièce à la nostalgie de l’ordre. Le CPCT peut être un des lieux où cela arrive, où ce réel émerge dans un dire.