Philippe Lacadée, psychanalyste, participe à l’expérience du CPCT, et au travail d’élaboration qui en résulte.
À l’occasion de notre 10ème Journée du CPCT Aquitaine, nous lui avons posé quelques questions.
– Que retenez- vous de ces 10 ans d’expérience au CPCT ?
Je retiens la valeur justement de ce que peut être une expérience comportant une notion de prise de risque assumée car contrôlée par une formidable expérience de travail d’équipe sous la responsabilité d’un travail d’école permettant d’en saisir, grâce à une élaboration soutenue, les enjeux pour en éviter les impasses. L’offre aussi, gratuite, d’une expérience de parole inédite pour des personnes peu habituées à parler ni, surtout, à être entendues d’une certaine façon.
– La création du CPCT a-t-elle modifié quelque chose dans le paysage psychanalytique bordelais ?
Cette création a tout d’abord modifié pour nous, membres de l’ECF ou de l’ACF, notre façon de travailler ensemble. Tout d’abord on s’est mis au travail de la clinique au plus prés de ce que pouvait dire chacune des personnes reçues. Cela nous a permis des échanges passionnants sur l’élaboration d’une nouvelle clinique issue de toutes ces personnes qui nous ont enseigné sur ce qu’elles pouvaient vivre, parfois dans une grande précarité, et pour lesquelles une offre d’une expérience de parole non seulement soulageait leurs souffrances, car elles avaient trouvé un lieu d’adresse, mais de plus leur permettait de trouver – voire de retrouver – une certaine dignité.
– Pouvez-vous nous livrer un moment qui a été marquant pour vous ?
Ce qui a été marquant pour moi c’est de voir in vivo la disponibilité des collègues et leur amour de la clinique. Le sérieux de leur travail et la façon dont chacun savait transmettre à sa manière, et selon son style, ce qu’il accueillait de la demande de celui qui s’adressait à eux. Une clinique du respect de la personne, de sa façon de se présenter, un accueil de l’être de l’autre sans aucune idée préconçue. Nous tentons de vérifier dans les cartels cliniques des CPCT comment le consultant est inclus dans le tranchant de son intervention, dont il se fait l’agent, et c’est dans l’après-coup de la prise de parole en cartel que celui-ci se vérifie. C’est d’ailleurs parce qu’il est inclus qu’il tranche. En témoignent les toujours surprenants effets du cartel où le consultant, après avoir parlé d’un cas, entend de celui qui lui parle parfois à la lettre ce qu’il a articulé dans le cartel, comme le mot « ouverture » d’Alban, dont le poids ne cesse de peser sur son dire. C’est aussi bien souvent dans l’après-coup d’une séance que surgit l’idée subite, restée voilée pendant celle-ci. Le sujet constatant alors qu’il se trouve branché ou connecté sur le savoir supposé dont il ignorait être lui-même le siège. C’est aussi une opération qui se vérifie dans l’après-coup.
En ce sens trancher spécifie la clinique à laquelle le consultant participe et est le moyen pour lui de déclarer les raisons de son acte, de son intervention. C’est d’ailleurs pour cela que Lacan a créé la section de la clinique psychanalytique soit « une façon d’interroger le psychanalyste, de le presser de déclarer ses raisons[1]. » La clinique analytique relève d’une opération, d’une section par laquelle l’analyste déclare les raisons de l’acte qu’il a commis et qui l’a commis dans le bavardage de celui qu’il écoute, comme le dit si bien une consultante.
– Que souhaiteriez- vous transmettre de cette expérience ?
C’est là où peut se saisir la pertinence du Lieu Alpha proposé par J.-A. Miller, qui n’est pas « un lieu d’écoute » mais « un lieu de réponse », un lieu où le bavardage prend la tournure de la question, et la question elle-même la tournure de la réponse. Il n’y a Lieu Alpha qu’à la condition que, par l’opération de l’analyste, le bavardage se révèle contenir un trésor, celui d’un sens autre qui vaut comme réponse, c’est à-dire comme savoir dit inconscient. »[2] Le mot « vulnérable » isolé par une consultante dans le bavardage de sa patiente, en lui soulevant la question « vous avez cette idée là ?», se révèle contenir un trésor dans la boite de ses secrets, un savoir, là où les enfants ne sont pas si innocents que cela de se livrer à des jeux sexuels. Ainsi, une fois la boite de ses secrets ouverte en présence de la consultante, la patiente modifia sa position subjective, pu nommer d’une autre façon une partie du nom de son symptôme, et ainsi dire oui à quelque chose de nouveau surgissant de son inconscient. Elle s’en trouva fort soulagée de vérifier aussi qu’en elle, une part d’elle agissait à son insu. Sa vie lui devint moins insu-portable.
[1] Lacan, J, 5 janvier 1977, Ornicar ?, n°9, Paris, Lyse, p.11.
[2] Miller J- A, « Vers Pipol 4 » , Lettre Mensuelle n°261, p 26.